Louise Arrivé, JAC

« Sans un débat inclusif, il n’y a pas de bon projet »

Par

Louise Arrivé

Présidente de l’association Jeunes ambassadeurs pour le climat

Comment les militants de la « génération climat » abordent-ils la transition démocratique ? Pour Louise Arrivé, le dialogue est primordial afin de faire évoluer les comportements. Devant son public de scolaires et d'étudiants, cela passe par la pédagogie et les arguments scientifiques. Au sein de son association, le maître mot, c'est la co-construction. Son inspiration méthodologique ? Le théâtre d'improvisation.

J’avais 21 ans quand je me suis engagée dans l’association « Jeunes ambassadeurs pour le climat ». C’était en 2021. L’année suivante, plusieurs associations militant pour la justice sociale et environnementale ont organisé une marche. J’y ai participé pendant cinquante-trois jours, en vélo, de Paris à Marseille. Ce qui m’a marqué, c’est la force du collectif. Cela n’a pas été une aventure facile, nous étions nomades, nous devions tout organiser, la logistique comme les événements qui ont scandé notre parcours. Nous étions débordés tous les jours, faisions énormément de vélo et n’avons jamais eu un moment pour nous reposer. Mais à aucun moment, je n’ai eu envie d’arrêter. J’ai été prise par l’énergie du groupe. Quand il y a beaucoup d’écoute et de bienveillance, tous les projets deviennent réalisables ! Et puis il y eut les rencontres. Nous avons discuté avec des personnes qui, sur le terrain, ont commencé à penser la transition en développant des pratiques faisant appel à la sobriété ou appelant à réinventer la démocratie grâce à des débats entre acteurs. Grâce à toutes ces personnes, chaque jour, nous avions notre petite dose d’inspiration. C’était juste incroyable ! Je pense que cela m’a donné beaucoup d’espoir dans la capacité de la société à développer des projets, à petite ou grande échelle. Cette expérience a été fondatrice. Elle a fait de moi une militante écologiste, ce que je n’étais pas auparavant.

Pour créer collectivement, il faut une méthode

Dans mon enfance, j’ai pourtant été familiarisée avec les mouvements sociaux grâce à mes parents, engagés dans les luttes locales et partisans de la sobriété. Mais je ne me serais pas qualifiée pour autant de militante de l’environnement ou de la démocratie. Ma première inspiration a été l’improvisation théâtrale. Pour s’avancer sur une scène devant des centaines de personnes et créer collectivement une histoire à partir de quelques mots, de presque rien, il faut une méthode. Il faut s’écouter, accepter les idées des autres, valoriser la créativité et construire ensemble un « mur » qui va se consolider progressivement. La méthode repose sur trois piliers : écoute, bienveillance et acceptation. Acceptation car dans le théâtre d’improvisation, quand un partenaire lance une idée, je ne dois pas dire non. Je dis oui, tout simplement, ou alors je dis « oui, mais… » et je rebondis en apportant une autre idée. Finalement, c’est une forme d’intelligence collective. J’ai mobilisé ces principes de l’improvisation théâtrale pour développer des démarches de co-construction dans mon association.

Évidemment, dans une association, il y a des débats et parfois, on peut dire qu’on est en opposition. Mais cela ne doit pas être un frein, cela doit mener à un dialogue argumenté. C’est aussi un « oui, mais » en quelque sorte. Face à quelqu’un qui exprime un désaccord, plutôt que de s’opposer, il faut se mettre en position d’écoute et de questionnement. Cela permet d’aller au fond des choses. Parfois, la présence d’un facilitateur peut aider à ce que cela se passe bien et que tout le monde puisse prendre la parole, mais ce n’est pas indispensable. Si chacun a bien intégré les principes du débat, si on mobilise les outils de la communication non-violente – par exemple si on se fait des signes pour prendre la parole ou pour montrer son accord – les réunions peuvent s’auto-faciliter. Ce type de réunions, ce sont les plus belles que j’ai jamais vécues.

Débusquer la pépite du conflit

Si le débat n’est pas mené de façon inclusive, c’est-à-dire sans écarter personne, on ne peut pas débusquer les incohérences d’un projet. Et lorsqu’un projet qui n’est pas suffisamment débattu est mis en pratique, il ne sera pas durable. Ses points faibles ressortiront, les désaccords surgiront et cela mènera à des crises. Au contraire, quand on débusque la pépite du conflit, cela permet d’avancer. Il ne faut donc pas refuser le débat mais le voir comme une étape nécessaire dans une démarche de gouvernance partagée.

Cela vaut pour les associations comme pour la société en général. Nous devons aujourd’hui affronter une crise écologique, sociale et démocratique et, si on ne sait pas résoudre la crise démocratique en inventant de nouveaux modes de gouvernance, on n’arrivera pas à résoudre les autres crises. Prenez les communs naturels, comme l’eau par exemple : il est indispensable de rationaliser leur usage mais on ne peut le faire que de façon collective. La concurrence et la compétition nous mèneront à des désastres, il est indispensable de promouvoir la coopération.

Notre association développe des actions de sensibilisation sur le climat, notamment à destination des jeunes, depuis le collège jusqu’à l’Université. Nous sommes également consultés par les pouvoirs publics. Nous l’avons été par exemple pour l’élaboration du Plan Climat de la Ville de Paris. Notre objectif est de relever son niveau d’ambition. À nos yeux, il est normal de mettre en place un processus de participation pour ce type de projet, qui doit être suffisamment débattu. Il ne faut pas avoir peur de ne pas être légitime dans ce processus, même si on nous demande un avis sur des sujets très divers, depuis la publicité jusqu’à l’éclairage nocturne. Nous ne sommes pas experts dans tous les domaines, nous devons chercher l’information et la sourcer avec rigueur en nous basant sur des connaissances scientifiques. Cela nous demande beaucoup de temps.

La participation, c’est parfois juste un moyen de gagner du temps

Personnellement, je connais mal les espaces de participation sur la transition énergétique ou écologique mis en place par les institutions publiques ou les collectivités. De façon générale, je les trouve souvent très techniques, peu accessibles. Parfois, on a l’impression que les pouvoirs publics ont tous les éléments pour prendre des décisions et que la participation est juste un moyen de gagner du temps, une excuse pour ne pas avancer concrètement. De plus, il ne suffit pas pour une collectivité de consulter ses habitants, il faut aussi les « encapaciter », c’est-à-dire leur donner la possibilité de contribuer concrètement à la réalisation du projet. Il faut leur donner les ressources en termes de financement, d’information, de légitimité… Les citoyens doivent pouvoir s’engager en faveur de projets dans leur territoire, ce qui n’est pas toujours facile, notamment quand on travaille. Il faut réfléchir aux moyens à leur donner pour qu’ils dégagent du temps pour la collectivité.

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