A Saint-Pierre de Chartreuse (Isère), les élus, habitants, acteurs locaux du tourisme, coopèrent pour la transition climatique de cette station de ski de moyenne montagne.

Participer, c’est s’impliquer dans l’action

Entretien avec

Jean-François Caron

Fondateur et directeur de la Fabrique des Transitions

Le local est l’échelle idéale pour vaincre les résistances au changement, estime Jean-François Caron, fondateur de la Fabrique des transitions. Cet ancien maire d’une ville minière convertie au développement durable relie la réussite des territoires à la « démocratie du faire » : une forte implication des habitants par l’action.

Après avoir été maire de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), vous accompagnez la conversion au développement durable de dizaines de territoires. Dans quelle mesure la participation citoyenne pèse-t-elle sur ces trajectoires de changement ? 

Sur la centaine de territoires que l’on suit, tous tiennent un discours en faveur d’une approche participative, mais avec des écarts très importants dans la mise en œuvre : la majorité se limite à des réunions publiques classiques, les élus conservent leur posture d’arbitre et de décideur exclusif.  Seuls quelques-uns vont plus loin, par exemple la station de montagne de Saint-Pierre-de Chartreuse où le maire pousse la formule d’une société coopérative avec toutes les parties prenantes, les loueurs des skis, les hôteliers, les associations, les habitants, les usagers… Il y a toujours cent personnes dans la salle, pas du tout sur le mode « je veux » mais plutôt « je peux faire ». 

La démocratie participative, ce n’est pas lever la main dans une réunion, c’est s’impliquer dans l’action. Sur le terrain, on a besoin de processus qui activent la logique d’engagement des citoyens. Il y a un fort enjeu d’outillage des territoires pour construire cette démocratie du « faire », une participation implicative. Pour changer nos comportements, l’information et le débat ne suffisent pas.

Vous croyez davantage à cette démocratie du « faire » qu’aux ateliers délibératifs ? 

La participation s’essouffle, tout le monde en revient, l’espoir renaît par des actions qui démontrent leur bénéfice. L’échelon national est bloqué par toutes les résistances au changement. Le local – commune, agglomération, parc naturel régional… – est l’endroit où travailler les changements de comportement. 

A Loos-en-Gohelle, il a fallu créer les conditions de co-construction de la transition avec la population pour en faire un commun. J’ai travaillé des processus de responsabilisation des habitants, par exemple les contrats Fifty-Fifty signés entre la ville et les habitants : ils mènent des projets – le fleurissement d’un quartier, par exemple – et la commune finance l’investissement. Nous avons passé le cran au-dessus en remplaçant le toit de l’église par des panneaux solaires. Le curé est passé à la télé, l’évêque a déclaré que l’église prenait part à la transformation du monde, les gens étaient fiers d’avoir la première église de France en énergie solaire. Très vite, avec un noyau dur de 70 habitants actifs, nous avons décidé de convertir au solaire tous les bâtiments publics de la ville. Nous avons créé une société par actions simplifiées (SAS), la ville est dans tour de table pour 10 %, les habitants pour 40 %, et 50 % pour la société d’économie mixte du Nord-Pas de Calais pour les énergies renouvelables. Ce sont 120 familles qui ont investi en logique d’épargne dans la société de projet. Cela déclenche à présent la dynamique de conversion des toitures privées. Cette production est marginale au regard de la consommation d’énergie mais ce projet en amène d’autres : la géothermie profonde pour le nouvel hôpital, la méthanisation… 

La transition progresse par mille et une action de coopération avec les habitants et les acteurs de terrain. Avec les écoles, les clubs de sport, les randonneurs, les jardiniers, tous les petits ruisseaux coopératifs créent une culture de la participation implicative : sur 7000 habitants à Loos, la moitié s’implique dans les processus participatifs. 

Quel levier de mobilisation des habitants convient-il d’actionner au départ ? 

Notre fil à plomb, ce sont les nouveaux imaginaires de développement. Il ne peut pas y avoir de transition sans un travail collectif sur qui l’on est, d’où l’on vient, sur l’identité du territoire ; cela permet alors de penser une trajectoire, où l’on veut aller. C’est un processus de mise en récit d’une vision nouvelle à partir de ce socle commun. 

C’est ce que nous avons dû faire à Loos, pour savoir quoi faire après la mine. Notre voisine, Lens, a fait le choix de gommer toute trace de son passé minier. Loos, au contraire, a voulu célébrer cet héritage. Quand on fait du land art en emballant le terril avec une couverture géante faite de petits carrés tricotés par les habitants, c’est une façon de changer le regard : le gros tas de déchets se transforme en espace artistique, puis en lieu de pratiques sportives… Le terril a représenté une fierté identitaire d’où s’est amorcée la reconquête de l’avenir. À son pied, il y a aujourd’hui un pôle de compétitivité et des activités de recherche sur le développement durable. 

Nous avons fait reconnaître l’intérêt majeur du patrimoine minier, désormais classé par l’Unesco[1]. Dans cette prestigieuse institution mondiale, nos terrils côtoient le château de Versailles, l’histoire des mineurs a rejoint l’histoire des rois. Cela transforme complètement l’imaginaire de la mine. 

En quoi la conversion de Loos-en-Gohelle, liée à un contexte particulier, fournit-elle un modèle transposable ailleurs ?

Loos avait les mines. Ailleurs, s’il y a un problème sur la culture de l’oignon doux qui consomme trop d’eau au regard de la ressource disponible, ce territoire-là ne pourra pas se reconstruire en demandant aux agriculteurs de se renier. La question culturelle interroge la fierté, l’héritage, elle pose un regard renouvelé sur nous-mêmes. Cette approche par la mise en récit favorise l’engagement des acteurs. 

L’intérêt est d’accompagner des territoires désireux d’affronter un changement systémique, pas des petits bouts techniques. Nous essayons de saisir comment la population se projette dans l’avenir, à quels endroits elle est prête à bouger. Nous formulons des recommandations générales et le territoire va élaborer un fil rouge de transition. A Loos, le fil rouge était le passé minier, avec ses tares : l’habitat était catastrophique, dépendant du chauffage au charbon. La population a massivement adhéré à l’écoconstruction car cela correspondait à un problème majeur. Dans les territoires, on essaie de faire apparaitre les objectifs et les actions pour les atteindre. 

Le local permet alors de faire remonter des enjeux de réformes législatives. Par exemple, le jour où on mettra un bonus fiscal sur les dispositifs d’énergie citoyenne partagée, des dynamiques de transition énergétique émergeront partout. 

La Fabrique des territoires a-t-elle défini une méthode de conduite du changement ? 

Nous avons eu besoin de « démonstrateurs ». Loos en est un, tout comme Malaunay, Grande Synthe, le Mené, Mouans-Sartoux[2] : à partir de nos expériences, nous avons recherché les invariants de réussite de transition. L’implication habitante est un invariant. L’approche par la mise en récit aussi : on retrouve partout une stratégie culturelle au cœur de la trajectoire de transition. Autre invariant : une stratégie de coopération multi-échelle très forte, avec la communauté d’agglomération, le Département, la Région… 

On peut résumer la conduite du changement systémique à quatre points : le point 1, c’est le travail sur l’identité du territoire. Le point 2, c’est de repérer les leaderships, reconnaitre la puissance d’engagement des acteurs. Le point 3, c’est l’innovation en mode projet. Et le point 4, la transition, est un désir partagé, pas une contrainte ni une morale.

En cours de route, plein de choses ne fonctionnent pas. Mais ce qui compte est de reprendre prise sur notre destin collectif. 

Propos recueillis par Valérie Urman

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[1]Le bassin minier du Nord-Pas de Calais a été classé le 30 juin 2012 au Patrimoine mondial de l'humanité. Sont identifiés 14 ensembles d’éléments remarquables, au premier rang desquels l’ensemble de Loos-en-Gohelle en raison de la hauteur de ses terrils jumeaux et de l’importance des 4000 logements de la cité minière.
[2] Sur le site de la Fabrique des transitions : son origine, sa gouvernance, sa méthode, ses chantiers  www.fabriquedestransitions.net/

Jean-François Caron

Jean-François Caron a fondé et dirige la Fabrique des Transitions qui implique plus de 400 organisations attachées à la transition climatique. Il a été maire de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) de 2001 à 2023 et vice-président du Conseil Régional des Hauts-de-France. Il a porté le classement du bassin minier au patrimoine mondial de l’humanité (UNESCO, 2012) et est président national de l’Association des biens français inscrits au patrimoine mondial (ABFPM).

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