Citoyens, élus, et agents, discutent les amendements au projet, au cours d'une dernière session, préalable au vote formel de l'assemblée de Rennes métropole. (Crédit photo: Franck Hamon - Rennes Ville et Métropole)

Rennes métropole pousse plus loin la logique de codécision

Entretien avec

Jean-Marie Goater

Conseiller à Rennes Métropole délégué à la démocratie locale

Karine Besses

Garante pour la Commission nationale du débat public

Sandrine Vincent

Vice-présidente de Rennes Métropole déléguée aux relations avec les citoyens

Rennes Métropole a confié à un panel d’habitants tirés au sort l’élaboration de sa charte de la participation, en prévoyant une session d’amendements entre citoyens, élus et agents avant le vote du Conseil de la métropole. Cette convention citoyenne « augmentée » a recherché une forte articulation à la décision. Regards croisés des élus en charge du projet et de la garante de la convention.

Diriez-vous que la métropole a expérimenté une véritable codécision avec les citoyens ? 

Jean-Marie Goater, élu au Conseil de la métropole. L’objectif était de fabriquer une charte de la participation en donnant le rôle central aux habitants. Nous avons décidé d’organiser une convention citoyenne en tirant les enseignements des récentes conventions menées en France. Nous avions à l’esprit la frustration des 150 participants de la convention citoyenne pour le climat, selon qui le pouvoir n’avait pas tenu suffisamment compte de leurs propositions. C’est la limite entre la promesse et le résultat. En plus des sessions de formation et de délibération généralement prévues, nous avons ajouté une rencontre des citoyens avec les agents et les élus de la métropole pour qu’ils discutent de la faisabilité pratique, technique, financière et politique de leurs propositions. Tous ces acteurs examinent le projet des citoyens en vue de  produire  une version finalisée qu’ils adoptent au consentement. Ce projet de charte a été soumis, tel quel, au conseil de la métropole qui l’a voté à la quasi-unanimité en décembre 2022. 

Karine Besses, garante CNDP. D’après mon expérience, ce dispositif est de ceux qui poussent le plus loin l’articulation de la participation à la décision. La codécision, au sens strict, est non-fondée en droit français, comme l’a rappelé le juriste de la métropole aux citoyens. Il ne s’est donc pas agit de codécider à proprement parler, car la décision formelle est prise par les élus, mais de co-élaborer une propositions pour le vote des élus.

Cette question sur la possibilité d’être dans la codécision a été beaucoup discutée entre les élus, les citoyens et les agents. Dans la charte, la formulation prudente reflète à la fois la limite légale et les débats : elle énonce que la « co-construction » s’inscrit « dans une logique de coresponsabilité et de codécision ». 

Garantir l’articulation de la participation citoyenne à la décision publique suppose une méthode bien définie. En tant que garante, j’ai demandé à Rennes métropole de présenter publiquement aux citoyens, au moyen de schémas explicites, le dispositif participatif avec ses phases et ses temporalités, mais aussi l’ensemble du circuit décisionnel de Rennes Métropole pour clarifier tout le trajet emprunté par le projet de charte. Ce document passe, en effet, devant une série d’instances politiques et administratives : le groupe de pilotage, les élus en charge du projet, le cabinet, la présidente, la direction générale, la conférence des maires… L’enjeu est d’éviter les boîtes noires, d’empêcher toute modification hors du contrôle des citoyens.

Un principe fort a été acté : le texte adopté collectivement lors de la séquence d’amendements entre les élus et les citoyens ne pouvait plus être modifié, qu’à la marge, jusqu’au vote de la métropole. Cela n’était pas aussi clair au début, la règle a été précisée chemin faisant à la demande des citoyens que j’ai appuyée. Mon rôle a été ensuite d’avoir un regard attentif sur le respect de cet engagement. Cette clarté est indispensable pour l’ensemble des parties prenantes d’une telle démarche.

Les citoyens ont-ils gardé la main sur les propositions pendant la séquence d’amendements ?

J.-M. Goater. Chaque acteur, qu’il soit citoyen, élu, agent, a disposé du même pouvoir de questionner, d’argumenter, d’objecter. Les débats ont été menés en sous-groupes thématiques, animés par des prestataires. L’objectif est de traiter, si possible, toutes les objections. Nous étions convenus que, si un point restait conflictuel, on acterait le désaccord ; en l’occurrence, tous les points ont trouvé une solution jugée acceptable par tous. Mais le débat de fond se double de discussions sur la forme, au risque de s’appesantir sur des détails de formulation. Nous disposions d’une journée complète en présentiel, les citoyens ont jugé ce temps trop court.  A leur demande, nous avons ajouté deux soirées en visioconférence. 

Sandrine Vincent, vice-présidente de la métropole. C’est un arbitrage délicat car les sessions supplémentaires non prévues pèsent sur des services déjà sur-sollicités, sur les finances publiques et sur l’agenda de mise en œuvre. Le temps imparti imposait d’avancer tambour battant, nous en étions conscients, néanmoins il a permis de produire le travail attendu. De mon point de vue, la production était satisfaisante. Les citoyens ont réclamé du temps supplémentaire, nous l’avons compris et nous avons ajusté le dispositif.  

K. Besses. Les citoyens ont discuté le document mot à mot. Certains ont acquis une compétence d’argumentation remarquable, notamment dans les discussions avec les élus. D’autres, en particulier dans les décisions au consentement, m’ont fait remonter le manque de temps pour réfléchir, et pour bien comprendre les notions parfois complexes qui étaient discutées. Certaines propositions très intéressantes -par exemple sur l’évaluation de l’action publique- ont été laissées de côté, parfois faute de temps pour approfondir. Rennes Métropole s’est engagée à garder cela en tête.

L’ajout des deux sessions, que j’ai appuyé, a été perçu très positivement. De même, un consensus est né pour que la future Assemblée citoyenne – l’instance permanente proposée par les citoyens – évalue l’application de la charte pour en affiner les réglages au besoin. Cette qualité itérative du projet a permis de détendre les esprits, de lâcher du lest pour terminer le travail.    

Quels ont été les points les plus négociés ? 

J.-M. Goater. Le panel a proposé un droit de pétition des citoyens, qu’il a âprement défendu tout en acceptant de relever le seuil à 1000 signatures recueillies dans au moins trois communes. Cependant, les citoyens ont rejeté la proposition des élus d’ajouter un critère de taille des communes.

K. Besses. Le périmètre d’action de l’Assemblée citoyenne a été beaucoup discuté. Cette nouvelle instance est dotée de prérogatives importantes car elle sera le réceptacle des interpellations citoyennes et aura théoriquement le pouvoir de proposer et de contrôler ensuite à quel niveau de participation les projets de la métropole sont élaborés. 

S. Vincent. Lorsque les élus ont objecté, c’est le plus souvent en raison d’impossibilités légales, parfois pour des raisons politiques.  Par exemple, en expliquant aux citoyens que la métropole n’a pas le pouvoir d’imposer aux communes d’appliquer la charte de la participation, seulement d’inciter, d’accompagner. Nous avons aussi rejeté l’obligation de transférer aux institutions concernées les pétitions citoyennes qui ne relèvent pas des compétences de la métropole, pour ne pas avoir à transmettre une demande contraire à nos valeurs, une pétition contre l’avortement par exemple. Les participants à la convention ont accepté ces modifications. 

Quel élément important vous semble avoir favorisé cette démarche ?

S. Vincent. Notre posture, humble. Dès le départ, nous avons annoncé aux citoyens tirés au sort que nous ne connaissions pas le chemin, que c’était nouveau, que l’on s’autorisait à expérimenter et à avancer avec eux. Tout l’enjeu était d’instaurer une forme de confiance. On ne l’a pas eu d’entrée. Et l’on n’en sort pas non plus avec un chèque en blanc, les citoyens nous ont dit qu’ils attendaient de voir la mise en œuvre…  Ils ont raison, la charte est un début. 

K. Besses. Je suis d’accord. La posture des élus et des équipes, leur capacité d’écoute pour ajuster le dispositif, leur souci de transparence sur le circuit de décision, ont été des facteurs importants.

Y a-t-il un raté, un accident de parcours, dont vous tirez enseignement ?

J.-M. Goater. Nous avons fait appel à des prestataires, mais nous n’avions pas anticipé qu’il resterait une énorme activité, en particulier pour le service de la métropole en charge de la participation citoyenne, dont les agents ont fini au bord du burn-out. Sans compter qu’aussitôt après l’adoption de la charte, nous avons engagé la mise en œuvre d’actions : le Printemps citoyen a débuté moins de six mois après le vote, avec plus d’une centaine d’évènements, l’Assemblée citoyenne est installée le mois suivant[1], le budget participatif climat est en préparation, il faut aussi populariser les outils de participation, programmer des formations… 

S. Vincent. Mon principal regret, c’est le flop de la charte de la participation dans les médias. Il y a eu une conférence de presse avant le conseil de métropole, présentant les délibérations à l’ordre du jour : les journalistes ont retenu l’obligation de construire des balcons. La charte de la participation est passée complètement sous le radar médiatique. 

K. Besses. Plus globalement, l’articulation entre la convention citoyenne et la population a été ratée. La consultation grand public, l’ambition d’animer les réseaux sociaux, n’ont pas décollé. De même, très peu d’éléments sur la fabrication de la charte ont été rendus publics, or c’est une condition essentielle de l’articulation entre « mini-public » et « maxi-public ». 

Le dispositif participatif n’en reste pas moins l’un de ceux qui va le plus loin dans l’articulation à la décision. Et la charte de la participation ainsi produite est, de toutes celles que je connais, l’une des plus ambitieuses. 

Propos recueillis par Valérie Urman

Clés

La « convention métropolitaine de la citoyenneté » a rédigé la charte de la participation de Rennes Métropole, document qui cadre les principes et le fonctionnement des dispositifs participatifs. 

  • Coût du dispositif : 90 000 euros, dont 60 000 euros d’assistance à maitrise d’ouvrage (appel d’offre) et 30 000 euros de dépenses supplémentaires en restauration, indemnisation des citoyens tirés au sort, mobilisation du service de la participation. 
  • Budget annuel prévisionnel de l’Assemblée citoyenne : 30 000 euros. Vingt-huit citoyens tirés au sort siègent dans cette nouvelle instance pérenne, dont dix anciens participants à la convention. Ils ne percevront pas d’indemnité.  
  • Prestataires : les Citoyen.nes pour le renouvellement de la démocratie (CRD) ont conçu la méthode d’« assemblée de codécision », présentée comme une « évolution des conventions citoyennes » ; CRD est intervenu en groupement avec le Labo Concertation Communication. 
  • Panel : il est composé de 86 habitants âgés de 16 à 89 ans, tirés au sort dans les 43 communes de la métropole. 
  • Durée : mai à décembre 2022 (hors temps de préparation et de recrutement du panel). 
  • Phases du dispositif : deux sessions du panel citoyen (quatre jours au total, en mai et juin 2022) ; une troisième session de « codécision » par consentement (un jour en présentiel le 2 juillet 2022 et deux soirées supplémentaires en visioconférence en septembre 2022) ; adoption par le conseil de Rennes métropole le 15 décembre 2022.
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