Par
Pierre-Yves Guihéneuf
Ex-rédacteur en chef de démocratieS
Demander l’avis des citoyennes et des citoyens pour nourrir la décision publique ? Oui, évidemment ! Les personnes interrogées le réclament avec constance dans les sondages depuis plus de dix ans. Pourtant, elles sont peu nombreuses à participer activement. Comment expliquer ce paradoxe ?
Les Françaises et les Français voient la démocratie participative d’un bon œil. Les résultats d’une dizaine de sondages réalisés de 2011 à 2023[1] montrent une grande cohérence dans les réponses.
Le premier baromètre (Res Publica et Harris Interactive, 2011) posait la question : la démocratie participative, entendue comme la concertation avec les citoyens pour préparer des décisions publiques, est-elle une bonne chose ? La réponse était oui pour 90 % des personnes interrogées. À quelques nuances de formulation près, le chiffre restera quasiment constant au cours des éditions suivantes de ce baromètre, jusqu’en 2017 (88 %). En 2020 (Baromètre de la communication locale, Cap Com), 88 % des sondés souhaitent que les dispositifs de participation citoyenne se développent. Le score est en légère baisse en 2021 : 83 % pour Opinion Way et État d’Esprit, 84 % pour Ifop et Décider ensemble. La même année (People Vox et Ethics Group), 74 % des sondés pensent que la concertation est un moyen efficace de développer la société. En 2023, Opinion Way pour AgoraLab demande aux Français s’il est important de les associer à la réforme des institutions : la réponse est affirmative pour 82 % des personnes interrogées. Au fil des années, la démocratie participative reste bien notée.
L’efficacité de la démocratie participative est mise en doute
Donner son avis, est-ce que cela sert à quelque chose ? D’après les sondages, les réponses laissent apparaître de sérieuses réserves.
Dans le premier baromètre (Res Publica et Harris Interactive 2011) les sondés pensent que l’objectif de la démocratie participative est de « faire croire qu’on écoute les citoyens » (68 % des personnes interrogées) ou « d’augmenter leur adhésion à des décisions déjà prises » (71 %). Une opinion confirmée dix ans plus tard : les décideurs ne se soucient pas des avis des citoyens (80 %, Ifop 2021). L’intérêt des Françaises et des Français pour la politique est affirmé mais la confiance dans les hommes et les femmes politiques n’est pas au rendez-vous (Cevipof 2021). Certes, il est agréable de débattre (71 %, Harris Interactive 2017) et on s’instruit dans les réunions publiques (66 %, People Vox 2021) mais tout cela ne servirait pas à grand-chose (68 %, Opinion Way 2021). En résumé, la participation citoyenne est une bonne idée mais elle est loin, aujourd’hui, de satisfaire les attentes qui sont placées en elle.
Les citoyens connaissent-ils concrètement les dispositifs participatifs ? Les réponses sont incertaines. Selon les sondages, de 17 % à 46 % des sondés disent avoir participé à une concertation, un débat sur un projet ou une réunion publique dans leur quartier. Le chiffre semble en hausse au cours des années.
Alors, faut-il poursuivre dans la voie de la démocratie participative ? Oui, pour la majorité des personnes sondées. Comment ? Le référendum est la mesure la plus plébiscitée, devant les conventions citoyennes apparues récemment (Ifop 2021, Opinion Way 2023).
Une contradiction entre les opinions et les actes ?
Comment expliquer l’écart entre la bonne opinion des citoyens et des citoyennes envers la participation et leur faible mobilisation ? Nous avons demandé à des spécialistes de nous aider à comprendre cette apparente contradiction.
Pour la politiste Jessica Sainty, affirmer dans un sondage que l’on est favorable à la démocratie n’engage à rien. À l’inverse, il est difficile de dire qu’on en veut moins car on risque de donner une image négative. Les questions posées induiraient donc en partie les réponses.
Il est difficile de s’afficher « contre » le principe de participation, confirme le politiste Guillaume Petit. Mais il faut compter avec un autre élément : le fait de se dire favorable ne signifie pas nécessairement qu’on est prêt à participer soi-même et tout de suite. Les citoyens et citoyennes peuvent considérer que cela peut représenter une activité intéressante si le sujet les touche ou quand ils disposeront de plus de temps. Ils tiennent à ce que cette option leur soit préservée « au cas où ». Dans le cas contraire, ils perdraient une opportunité qui pourrait être utile. Ils peuvent également la désirer pour les autres citoyens, car ils savent que certains de ces derniers sont intéressés ou parce que cela permet de constituer des contre-pouvoirs toujours utiles en démocratie. De ce point de vue, il est normal que les personnes qui se disent favorables à la participation soient plus nombreuses que celles qui participent effectivement.