Pour en finir avec la démocratie participative

Pour en finir avec la démocratie participative.
Manon Loisel et Nicolas Rio.
Editions Textuel, 2023 https://www.editionstextuel.com/

Le livre

Désertion des élections, crise de confiance entre élus et administrés… La crise démocratique sera-t-elle surmontée par la participation citoyenne? D’évidence, non. Pour les auteurs, il y a deux raisons principales à cela, bien connues des praticiens et des chercheurs.

La première : la participation concerne dans les faits une petite minorité de personnes, éduquées et qui votent déjà avec constance. Elle amplifie leur voix et, par contraste, rend encore plus inaudibles ceux qui ne s’expriment pas. Elle accentue les inégalités au lieu de redistribuer la parole.

La seconde : les opinions citoyennes ainsi recueillies influent très peu sur les décisions publiques.

La démocratie participative est orchestrée par des institutions publiques qui clament leur désir d’écouter les citoyens mais qui restent sourdes et qui cherchent avant tout à éviter le conflit. La participation n’est pas la solution à la crise démocratique, elle en est le symptôme.

Plutôt de se poursuivre dans cette voie en espérant des progrès qui ne viendront pas, les auteurs proposent un autre chemin pour démocratiser la fabrique de l’action publique.

En premier lieu, les décisions publiques sont principalement le fruit, non pas d’échanges avec les citoyens mais de négociations parallèles entre parties prenantes concernées, y compris l’administration et les lobbies. Participation et négociation sont disjointes : elles devraient être réunies. La participation est scrutée de près alors que la négociation est occulte : cette dernière devrait gagner en transparence. L’administration publique, qui joue un rôle décisif, devrait être plus visible et se soumettre à des expertises contradictoires, y compris citoyenne. Les Comités de pilotage, qui gèrent sans véritablement organiser de débat sur les choix de société, devraient se transformer en Comités de politisation. Les contre-pouvoir (médias, associations…) devraient être confortés.

En second lieu, l’ingénierie de la participation devrait être mise au cœur des institutions et non plus à leur périphérie. On peut imaginer par exemple que des débats mouvants soient organisés entre élus ou fonctionnaires. On peut imaginer également que le tirage au sort soit utilisé pour nommer une partie des membres de ces assemblées, depuis les Conseils municipaux jusqu’à l’Assemblée nationale. Des citoyens tirés au sort pourraient avoir la charge de représenter les abstentionnistes ou de compenser le manque de représentativité des élus par rapport aux caractéristiques générales de la population. En outre, ce sont les citoyens  qui doivent définir les questions à mettre en débat par les élus et non l’inverse.

Les auteurs appellent donc à une transformation en profondeur de l’action publique et non plus en l’adjonction de dispositifs participatifs à ses marges, comme c’est le cas aujourd’hui. Au cœur de leurs analyses, la notion de débat contradictoire qui suppose un équilibre des pouvoirs.

Ils proposent également de redonner du sens à la fonction de représentation. Pour éviter le populisme et le risque d’une concentration du pouvoir au mains des lobbies, la démocratie participative ne constitue pas une véritable alternative. La démocratie directe, qui souffre des mêmes problèmes de représentativité, non plus. Les corps intermédiaires constituent en revanche un compromis nécessaire. Représentants (élus ou tirés au sort) d’un côté, contre-pouvoirs de l’autre : c’est ainsi que la démocratie peut retrouver son rôle qui est de confronter des intérêts divergents, dégager des accords acceptables et obtenir des engagements de la part de tous. Mais il faut pour cela revisiter la notion de représentation et être plus exigeants vis-à-vis de nos représentants.

Notre lecture

Manon Loisel et Nicolas Rio proposent, à partir de constats assez largement partagés par les praticiens et les chercheurs, un programme de travail ambitieux, qui diffère des pratiques ordinaires de la démocratie participative. Leurs propositions remettent à l’honneur la notion de représentation mais ne donnent pas pour autant un quitus aux élus ou à l’administration ni ne signent la fin de la participation citoyenne. Reste à voir si (et comment) elles pourraient être mises en œuvre.

Voir également notre entretien avec Manon Loisel et Nicolas Rio  : « En finir avec la démocratie participative »

Les auteurs

Manon Loisel et Nicolas Rio sont consultante et consultant en stratégies territoriales et ont co-fondé l’agence Partie Prenante.

Note rédigée par Pierre-Yves Guihéneuf
Janvier 2024.

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