Victor Lauret
Consultant en démocratie participative pour Dreamocracy
Le parlement wallon a expérimenté une commission délibérative mixte, réunissant des députés et des citoyens tirés au sort. Bilan : les élus tempèrent la radicalité des recommandations, mais s’impliquent ensuite fortement pour les défendre. De quoi renforcer l’impact de la participation ?
La première commission mixte délibérative s’est tenue en 2024 au Parlement wallon, en Belgique. Durant cinq journées, 10 député·es et 30 citoyen·nes tiré·es au sort ont délibéré pour produire des recommandations sur la crise démocratique. Si plusieurs assemblées belges avaient déjà expérimenté ce type de commissions mixtes, introduites depuis 2019 en région bruxelloise, c’était une première pour le parlement wallon. Après un premier article publié par démocratieS en amont du processus, sont présentés ici quelques éléments de bilan de l’expérience wallone.
Co délibération et institutionnalisation
Face au manque d’impact de la participation citoyenne sur les prises de décisions, les commissions délibératives voudraient opposer deux parades : l’institutionnalisation d’assemblées mixtes et la co-construction entre élu·es et citoyen·nes. Les commissions délibératives s’inscrivent dans le fonctionnement régulier des Parlements qui les pratiquent, au côté des commissions parlementaires classiques. Contrairement à la plupart des formats participatifs, un panel d’élu·es délibère ainsi activement avec les citoyen·nes tirés au sort et co-construisent des propositions.
Le fonctionnement des commissions délibératives est fixé dans le règlement des assemblées qui les pratiquent et prévoit un processus de suivi des recommandations. Ces dernières doivent être examinées en commission parlementaire, puis en séance plénière du Parlement. Après quoi, les députés doivent justifier l’issue réservée à chaque proposition. Une avancée significative par rapport à l’écrasante majorité des dispositifs participatifs qui négligent ce suivi.
L’institutionnalisation est-elle pour autant une panacée ? Prenant place au sein même des assemblées, les commissions délibératives sont empreintes de certains codes parlementaires. Le cadre institutionnel est d’autant plus prégnant en fin de processus car la dernière séance est consacrée à l’examen des amendements déposés et au vote des recommandations. Si les parlementaires sont rompus à cet exercice, rien n’est moins évident pour les citoyens tirés au sort. Malgré les efforts pour les aider à rédiger leurs amendements et s’approprier ceux déposés, l’exercice demeure technique et peut laisser l’avantage aux élu·es.
Difficile par ailleurs de faire abstraction du decorum dans l’enceinte d’un Parlement, avec les micros individuels, les pupitres inamovibles et la lourde symbolique formelle qui transpire des murs. Ce lieu intimidant ne facilite pas la prise de parole des citoyen·nes les plus réservés.
Si ces codes permettent d’articuler la participation aux institutions représentatives, on peut cependant questionner leur pertinence au sein d’un processus délibératif.
Des parlementaires engagés
Lorsque les recommandations de la commission mixte délibérative ont été examinées le 8 avril 2024 en commission parlementaire et le 24 avril en séance plénière, le bénéfice de la co-construction entre citoyen·nes et élu·es s’est alors fait pleinement sentir. Les député·es membres de la commission délibérative ont tous pris la parole pour soutenir le processus auquel ils avaient pris part et pour défendre les recommandations qui en ont émergé. Ils ont fortement relayé la production qu’ils ont co-constuite avec les citoyens : tiendraient-ils ce rôle s’ils n’étaient pas engagés activement dans le processus ?
« Sachez que, où que nous soyons après ces élections, nous serons les gardiens des recommandations que nous venons tous ici d’approuver » concluait, lors de l’ultime séance consacrée au vote des recommandations, la députée présidente de la commission délibérative, Marie-Martine Schyns. Conscients qu’ils et elles allaient être identifiés par leurs collègues comme co-concepteurs des recommandations, les députés ont souligné leur responsabilité quant à l’issue du processus. « Il ne faudrait pas que les collègues qui vont reprendre nos propositions se demandent ce qu’on a voulu faire avec ça », prévenait ainsi un député à propos d’une recommandation qui lui paraissait farfelue.
Réalisme ou réduction des ambitions ?
Le processus porte ainsi les élu·es à partager leurs réserves quant à la pertinence et la faisabilité des propositions. Non pour en réduire l’ambition, mais pour ouvrir un dialogue transparent avec les citoyens quant aux possibles difficultés d’application et les moyens de les dépasser. Il s’agit d’une différence importante par rapport aux modèles de participation qui excluent les élu·es de la délibération : plutôt que de risquer un détricotage en règle des propositions, on invite les élu·es au sein de l’arène délibérative à bâtir avec les citoyen·nes.
Ce choix méthodologique suscite pourtant des avis contrastés. Parmi les chercheurs ayant observé la commission mixte, l’un constate que les élu·es déminent avec les citoyen·nes les objections qui font obstacle au réalisme des recommandations. Un autre relève que ce temps de compromis édulcore les recommandations. La recherche du consentement permet-elle de formuler des propositions moins maximalistes mais préservées du détricotage ? Ou s’agit-il d’une domination de la voix citoyenne par les élu·es ? Il semble que la délibération mixte peut produire des recommandations plus tempérées, mais aussi plus robustes face à la réalité politique et institutionnelle qui les attend.
Pour autant, élus et citoyens n’aboutissent pas à consensus mou. Dans leurs recommandations, ils proposent d’introduire, au parlement wallon, un mécanisme de participation permanent sur le modèle, remarqué à l’international, du “dialogue citoyen permanent” en communauté germanophone. Les participants innovent cependant en proposant que ce dispositif réunisse des citoyens et des députés. Ils combinent ainsi deux grandes approches qui visent à renforcer l’impact de la participation : la coopération entre citoyens et députés, et la permanence, pour faciliter le suivi dans le temps par les citoyens et leur contrôle sur la gouvernance des processus.
Cette recommandation phare est accompagnée d’une trentaine de propositions, notamment l’instauration de votes gradués ou “préférendums”, la systématisation du suivi des recommandations citoyennes, et la possibilité d’un congé démocratique pour faciliter la participation.
Retisser la confiance ?
« En tant que politologue qui étudie le désintérêt et le conflit, je vois en repartant d’ici qu’il y a encore des preuves du contraire, des preuves d’intérêt des citoyens et de recherche du consensus » témoignait l’universitaireChristoph Niessen, auditionné par les participant·es de la commission délibérative. Alors que la confiance des citoyen·nes vis-à-vis de leurs représentants est partout en berne, ce genre d’espace apparaît comme une bouffée d’air frais. Malgré les réserves, il n’en demeure pas moins que durant cinq journées entières député·es et citoyen·nes ont échangé ensemble sur un pied d’égalité.
L’enquête d’évaluation constate qu’une majorité de participants émettent un avis positif sur la délibération entre élus et citoyens. « Beau travail entre les députés et les citoyens non élus ! » partage un citoyen dans l’enquête réalisée par les politologues Christoph Niessen et Min Reuchamps.
Pour la députée Hélène Ryckmans, cette commission délibérative a permis « une ouverture de la part des politiques sur la richesse de l’échange direct avec les citoyens ». En témoigne l’avis de son collègue Charles Gardier : « Je dois être honnête, j’arrivais à cette commission avec un certain nombre de présupposés, allez, peut-être même certains a priori. Ils ont été largement battus en brèche. Je pense vraiment que cet exercice de plusieurs dimanches était très enrichissant, et a amené […] une vraie prise de conscience, une vraie évolution dans ma perception ».
Si les élus sortent de cette expérience convaincus à plus de 85 % que « les décisions politiques importantes devraient être prises par des élu·es, après avoir consulté une assemblée de citoyens tirés au sort », ils restent plus réservés quant à la transformation directe des recommandations en lois. L’enquête réalisée montre en effet que 50 % des élus ne sont ni d’accord ni pas d’accord avec cette affirmation quand 70 % des citoyens y sont favorables. Si cette commission délibérative a effectivement permis de rapprocher élus et citoyens, il reste du chemin à parcourir.
Au fil des six commissions délibératives qui ont déjà eu lieu à Bruxelles [1], la quasi-totalité des députés bruxellois ont pu expérimenter le dispositif. Quel effet aurait donc, à terme, l’exposition massive et régulière des élus à cette culture délibérative ?