par
Anne Burstin
Inspectrice générale de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)
Carine Seiler
Inspectrice générale de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)
Lucile Olier
Membre de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas)
Des démarches foisonnantes mais menées avec un certain amateurisme, la nécessité d’aller vers les plus vulnérables et de s’appuyer sur les associations et collectifs d’entraide : c’est ce qu’Anne Burstin, Lucile Olier et Carine Seiler, de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), relèvent dans leur rapport sur la participation citoyenne dans les politiques de solidarité.
Cinq ans après l’idée d’un choc de participation qui devait accompagner le lancement de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté[1] et alors que le secteur du handicap était traversé par des débats sur la place des personnes concernées par les instances et démarches de participation, l’IGAS a dressé un panorama des démarches de participation citoyenne dans le champ des politiques de solidarités[2]. Cette plongée dans les démarches de participation a permis d’apprécier la place et la portée des démarches conduites par les acteurs publics dans un champ où il existe finalement peu d’obligations, à l’exception notable des politiques d’insertion.
Ces démarches foisonnent depuis le milieu des années 2010, avec des formats très divers, ponctuels (conventions, consultations publiques, ateliers, débats) ou pérennes (assemblées, conseils des ainés ou de jeunes protégés, comités d’usagers) ; à toutes les échelles territoriales, à l’initiative de l’État ou des collectivités locales. Ces dernières sont particulièrement actives en matière de participation citoyenne depuis les années 1990, en lien avec le cadre juridique favorable de la démocratie locale[3].
À noter cependant un certain amateurisme dans la conduite de ces démarches, alors que les guides[4] existants demeurent largement méconnus. Il manque aux acteurs, qui sont nombreux à s’en plaindre, un cadre permettant la capitalisation et l’échange de bonnes pratiques. De plus, ces démarches restent très dépendantes de l’impulsion politique du moment et des convictions personnelles de quelques acteurs politiques et publics.
C’est une grande différence avec ce qui est observé dans le champ de l’environnement ou de la politique de la ville, dans lesquels il existe des obligations procédurales, ou dans celui de la démocratie sanitaire, qui repose sur une organisation globale. L’impulsion du législateur semble essentielle pour pérenniser et professionnaliser ce type de démarche.
Lever les obstacles physiques, financiers, psychologiques, cognitifs
Les publics des politiques de solidarité sont vulnérables et stigmatisés. Ils sont aussi souvent empêchés : on parle de personnes confrontées à de grandes difficultés sociales, parfois en grande précarité ou limitées physiquement, placées en institution ou confinées à leur domicile. Elles sont parfois même privées de leur citoyenneté car sous tutelle ou mineures, étrangères, éventuellement en situation irrégulière.
Leur participation ne va donc pas de soi. Pour ces personnes, les formes de participation citoyenne les plus courantes sont rarement adaptées. Elles se heurtent à de nombreux obstacles : problèmes d’accessibilité physique ou numérique, limitations fonctionnelles ou de santé, manque de maitrise de la langue, limitations cognitives ou psychologiques qui peuvent se traduire par un sentiment d’illégitimité, mais aussi bien sûr difficultés financières.
Garantir leur participation est une exigence démocratique d’inclusion. Relever ce défi nécessite un cadre adapté et la mise en place d’outils spécifiques ; il faut impérativement garantir l’avance des frais occasionnés par la participation, choisir des formats et des formes d’expression appropriés : ateliers en petits groupes, théâtre forum, photolangage, déambulations… Autant de modalités qui supposent du temps, des relais et des moyens.
Mobiliser les personnes vulnérables et les plus éloignés de la sphère publique nécessite aussi des démarches très volontaristes « d’aller vers ». Il faut se rendre à leur domicile, s’installer dans les lieux de vie, y compris dans la rue, se rendre dans les établissements… Il est aussi indispensable d’accorder un temps et des moyens suffisants à l’accompagnement de ces personnes, par des groupes ressources de pairs et des associations expérimentées.
Il faut, enfin, valoriser et reconnaître les participants et ceux qui les accompagnent – qui peuvent être des pairs, également en situation de vulnérabilité – et anticiper l’après-participation. Cela peut passer, pour les premiers, par la reconnaissance des compétences acquises[5], en délivrant des attestations de participation ou des badges de compétences, en assimilant les participants à des bénévoles pour leur donner accès à la validation des acquis de leur expérience (VAE). Pour les seconds, cela passe par la création d’un véritable statut de pair-aidant et de pair-formateur[6].
Cette vigilance est importante. Elle l’est, évidemment, particulièrement pour les démarches qui concernent les politiques de solidarité mais aussi, de façon plus systémique, pour toutes les démarches de participation citoyenne, quel que soit leur objet. C’est une exigence démocratique qui reste encore trop peu prise en compte.
S’appuyer sur des groupes ressources
La participation citoyenne des personnes vulnérables ne se décrète pas. Elle ne peut s’épanouir que s’il existe un terreau favorable. La première condition est l’existence de groupes ressources déjà constitués et actifs dans la durée. Car pour élargir la participation, au-delà de quelques volontaires aujourd’hui sur-sollicités, les démarches doivent s’enraciner dans le développement plus systématique du pouvoir d’agir des personnes concernées et de leurs collectifs, comme les groupes ressources de bénéficiaires du RSA ou les Conseils régionaux des personnes accueillies et accompagnées dans le champ de la lutte contre la pauvreté, mais aussi les collectifs de pair-aidance[7] et les Groupes d’entraide mutuelle[8] (GEM) dans le champ du handicap, les classiques Conseils de la vie sociale (CVS) dans les établissements sociaux et médico-sociaux, ou les porteurs de récits[9]. Cela suppose de définir des cadres de financement de la participation afin d’organiser les modalités de rémunération de ces temps de participation, leur prise en compte dans l’activité des travailleurs sociaux et/ou de les intégrer dans les cahiers des charges des accompagnements.
La deuxième condition est un accompagnement de qualité des publics vulnérables. Dans le champ des solidarités, les associations caritatives et les associations de personnes concernées peuvent jouer un rôle crucial pour rendre possible la participation citoyenne. Elles peuvent conduire des démarches « d’aller vers », assurer la logistique, organiser le soutien par un groupe de pairs, animer les groupes ressources sur lesquels s’appuient les personnes concernées participantes, former, conduire des actions au long cours pour développer le pouvoir d’agir… Elles savent accompagner et non faire – ou dire – à la place et cette levée des difficultés est souvent une condition effective d’accès aux espaces d’expression et de débats.
Il y a une perte d’efficacité à ne pas mobiliser les associations mais aussi – et surtout – un risque démocratique à jouer les uns contre les autres. Loin de s’opposer, participation citoyenne et représentation par les associations sont en réalité complémentaires. Il reste sans doute encore à systématiser cette complémentarité.
Du premier au dernier kilomètre
Pour nourrir l’action publique, la participation citoyenne doit également s’enraciner dans une prise en compte institutionnelle de l’expression des usagers et des citoyens, dans une logique de continuum, du plus concret – à commencer par le traitement des plaintes – au plus général, la participation à la conception des politiques. Cela suppose de développer, au sein des administrations, des collectivités et des opérateurs de l’État, des démarches professionnalisées d’écoute participative pour créer un réflexe à toutes les étapes de la politique publique, du premier au dernier kilomètre. Cela suppose d’y dédier des moyens adaptés et des compétences spécifiques car la participation a un coût. Les Laboratoires régionaux d’innovation de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) représentent à cet égard des centres de ressources utiles pour les collectivités. Le département du Maine-et-Loire, par exemple, a pu s’appuyer sur le Lab Etat’LIN[10] pour créer un dispositif d’écoute des jeunes relevant de la protection de l’enfance.
Cela suppose aussi de laisser des marges de manœuvre aux acteurs de terrain à travers une conception de l’action publique plus itérative et, le plus souvent, locale. Cela repose sur des démarches expérimentales qui identifient les besoins avec les premiers concernés, testent à petite échelle, prennent en compte leurs retours et ceux des acteurs de terrain pour observer ce qui marche, afin d’ajuster la politique publique, avant de généraliser.
Pour franchir un véritable cap de transformation publique, nous recommandons d’élaborer une charte de la participation citoyenne tripartite – Etat, collectivités, opérateurs – dans les politiques de solidarité, en préalable à une grande loi.
Le projet Mamans solos
En 2021, la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) et le Commissaire à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des Hauts-de-France ont initié une démarche visant à soutenir des projets destinés aux familles monoparentales en situation de précarité, d’isolement et de vulnérabilité. Ils ont souhaité co-construire le projet – et son cahier des charges – avec des mères de familles monoparentales confrontées à des situations de précarité.
Dans le cadre d’un groupe de travail accompagné par l’association Participation et fraternité, ces mamans solos ont défini les axes prioritaires et les critères de sélection de l’appel à projet, à partir des besoins et des difficultés qu’elles ont elles-mêmes vécues.
L’accompagnement par l’association s’est révélé indispensable pour faire émerger une parole collective : « Ne pas exprimer que sa propre histoire […] L’écoute est importante, il y a souvent beaucoup d’émotions, car cela renvoie parfois au placement d’office des enfants et à la peur des assistantes sociales […]. Puis, on fait des propositions ».
La démarche de participation a porté sur l’instruction des projets, la participation au comité de sélection lui-même et au suivi de la mise en œuvre des 28 projets retenus.
Pour en savoir plus : Appel à projets régional 2022 « Parents solos ». La préfecture et les services de l’État en région Hauts-de-France.