Photo Romuald W. Ouédraogo, Koudougou. civitac.org

« En Afrique, le contrôle des décisions publiques est un enjeu décisif »

Par

Bachir Kanouté

Coordinateur pour l'Afrique de l'Observatoire International de la Démocratie Participative

Bon connaisseur des multiples initiatives qui se développent sur le continent, de Tunis à Maputo, Bachir Kanouté constate que les citoyens attendent en premier lieu des autorités publiques qu'elles rendent compte d'une utilisation plus transparente des fonds publics.

Les pratiques participatives se diffusent dans de nombreux pays d’Afrique. J’y vois plusieurs enjeux. Le premier est d’améliorer la gestion des ressources publiques. Tout d’abord, il s’agit de faire en sorte que les décisions concernant l’attribution de ces ressources se prennent avec la contribution active des citoyens et des citoyennes. Dans des pays qui ont peu de ressources, on peut en attendre une plus grande solidarité entre les territoires et entre les différentes catégories sociales. Mais cette phase d’élaboration de la décision publique que j’appelle le cycle de la participation publique, à laquelle la population doit être mieux associée, n’est qu’une étape. Je sais qu’en France, vous y attachez beaucoup d’importance. C’est aussi le cas en Afrique, mais cela ne suffit pas. Il faut également veiller au second cycle : celui de la redevabilité, c’est-à-dire de la mise en œuvre concrète de ces décisions arrêtées, pour plus de plus transparence. C’est l’obligation, pour les décideurs, de rendre compte des réalisations faites et leurs modalités de mise en œuvre.

Le contrôle citoyen vise à plus de transparence de l’action publique

Les élus et leur administration doivent dire ce qui est fait réellement car ils sont redevables de leur action auprès de la population. C’est le cas au Burkina Faso, par exemple, où le maire de Koudougou[1] a organisé plusieurs rencontres sous l’appellation de « Journées communales de redevabilité » qui rassemblent, outre lui-même, les organisations de la société civile et les populations. Ce sont des opportunités pour les populations d’exercer un contrôle citoyen sur les actions communales. Ces rencontres ont fortement contribué à resserrer les liens et la confiance entre élus et citoyens. Nous avons également, au Sénégal, les Espaces de dialogue et d’interpellation citoyenne (EDIC) ainsi que, en Côte d’Ivoire, les « audits sociaux »,  qui obligent des décideurs publics à rendre compte de leur action aux populations. Nous trouvons les mêmes espaces de dialogue et d’interaction entre dirigeants et citoyens en République Démocratique du Congo.

Toutes ces pratiques ont pour objet de lutter contre la corruption et l’inefficacité de l’appareil administratif en permettant aux citoyens de « tracer » la décision publique du début à la fin. Mais elles contribuent aussi à restaurer de la proximité et la confiance entre les citoyens et les responsables politiques. En Afrique en effet, comme dans bien d’autres régions du monde, la défiance des citoyens envers les institutions décideurs publics, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, est très importante, ce qui fragilise l’action publique.

La bonne gouvernance des ressources publiques est donc le premier enjeu. Le second est celui de l’inclusion. Dans les sociétés africaines, l’aptitude à participer n’est pas également distribuée entre tous. Il faut faire des efforts, notamment, pour que les jeunes et les femmes y prennent toute leur place. Les moins de 35 ans représentent 70 % de la population, c’est considérable. Or, ils participent généralement peu. Le numérique peut-il contribuer à les mobiliser ? Les femmes sont trop souvent mises à l’écart. Comment mieux les intégrer ?

S’appuyer sur la culture locale

Les initiatives sont nombreuses et celles qui fonctionnent le mieux sont celles qui prennent en compte la culture locale. Par exemple, il faut veiller à ce que les dignitaires coutumiers ne soient pas écartés ni relégués au rang de « simples citoyens ». Autre exemple : mettre les hommes et les femmes ensemble dans une même réunion peut relever d’un objectif égalitaire louable, mais cela ne garantit en rien l’expression libre des femmes. Il est parfois préférable d’organiser des dispositifs non-mixtes, qui permettent de nommer des porte-parole qui discuteront ensuite ensemble. Cela rejoint certaines traditions, par exemple au Sénégal dans les « Penc » où des espaces de discussion collectifs au niveau local intégraient un souci de représentation des femmes comme des hommes, ainsi que de toutes les classes d’âge, non pas nécessairement par des échanges entre eux directement mais par la création de lieux de discussion qui leur étaient dédiés et desquels pouvaient émerger des délégués.

Tribune d’expression populaire sur l’exécution du budget communal. Commune de Nsélé, Congo-Kinshasa (photo OIDP).

Les pratiques participatives en Afrique s’enracinent dans une longue histoire puisque les premières traces sont rapportées par la Charte du Mandé[2] qui date de 1236. Mais elles prennent désormais des formes modernes, comme on le voit avec l’expansion des budgets participatifs.

Cependant, les situations varient fortement en fonction du contexte politique de chaque pays. D’un côté, la Tunisie par exemple, qui avait connu des avancées considérables en matière de participation après la révolution de 2011, vit désormais une période de régression. L’actualité est compliquée au Sénégal, un pays qui anticipe une transition démocratique délicate en 2024. Au Congo Brazzaville, malgré une réglementation plutôt progressiste, les pratiques participatives sont très limitées, probablement à cause d’une faible combativité de la société civile, elle-même fruit de la générosité publique permise par la rente pétrolière. A l’inverse, en République Démocratique du Congo (Congo Kinshasa), les pratiques participatives sont en fort développement malgré le fait qu’il y ait très peu d’incitation réglementaire. Le cadre normatif y est clairement en retard sur les pratiques démocratiques portées par les organisations de la société civile. Cela tient sans doute aux confrontations sociales de ce pays qui ont donné naissance à des organisations collectives vigoureuses et revendicatives. Les pratiques progressent également au Mali ou en Côte d’Ivoire. A Madagascar, les budgets participatifs font l’objet de beaucoup d’intérêt et les groupes de femmes sont assez actifs.

Les initiatives viennent d’abord des ONG et de collectifs de citoyens

Lorsqu’elles se développent, les pratiques participatives sont rarement impulsées par les collectivités elles-mêmes mais plutôt par des organisations non-gouvernementales (ONG) ou des groupes de citoyens mobilisés autour de projets de développement, aidés par des chercheurs. Lorsqu’elles sont freinées, c’est principalement du fait des fonctionnaires intermédiaires, les équivalents des Préfets et Sous-préfets. Ceux-ci connaissent mal la démocratie participative et ils ne semblent convaincus, ni par le principe de transparence de l’action publique ni par une nouvelle répartition du pouvoir en faveur des citoyens. Il faut donc travailler avec eux. L’OIDP Afrique est souvent invité par des gouvernements, des collectivités ou des associations à donner des conseils méthodologiques et à partager des retours d’expériences. Nous pensons que, malgré des aléas conjoncturels et des différences significatives d’un pays à l’autre, la tendance générale est à une diffusion du principe de participation de la société civile. Celui-ci est notamment inscrit dans la charte[3] signée en 2014 par les États membres de l’Union africaine.

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Observatoire international de la démocratie participative - Afrique : oidp-afrique.org
Hélène Michel. « Transparence ». In Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation. https://www.dicopart.fr/transparence-2022
Yannis Papadopoulos. « Reddition de comptes ». In Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation. https://www.dicopart.fr/reddition-de-comptes-2013

  • [1] La préfecture de Koudougou est la troisième ville du Burkina Faso après Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
  • [2] La Charte de Kurukanfuga, également appelée Charte du Mandé ou Charte du Manden, inspirée d’un « Serment des chasseurs » qui remonte à 1222, a été proclamée en 1236 par Soundiata Keïta, empereur du Mali. Elle met en avant les principes d'égalité et de non-discrimination. Son authenticité fait débat chez les historiens, notamment car elle a été transmise oralement jusqu’à une période récente, mais elle a été inscrite par l'Unesco sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2009. NDLR.
  • [3] L'Union africaine réunit tous les pays du continent (à l'exception du Somaliland, non reconnu par la communauté internationale) soit 55 membres. NDLR. Voir : https://au.int/fr/treaties/charte-africaine-des-valeurs-et-principes-de-la-decentralisation-de-la-gouvernance-locale

Bachir Kanouté

Urbaniste, Bachir Kanouté est Directeur exécutif d'Enda ECOPOP, une organisation non-gouvernementale basée à Dakar, et coordinateur pour l'Afrique de l'Observatoire International de la Démocratie Participative. L’OIDP Afrique réunit une trentaine de pays et plus de 1000 collectivités, universités, associations et organismes de recherche.

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