La convention citoyenne sur la fin de vie, réunissant 180 participants tirés au sort, s'est tenue de décembre 2022 à avril 2023 au conseil économique social et environnemental (CESE) à Paris.

« Agir en collectif, une compétence clé »

Peut-on démocratiser le travail ?

Entretien avec

Matthieu Sanchez

Membre du comité de gouvernance de la convention citoyenne sur la fin de vie

La convention citoyenne sur la fin de vie a permis d'identifier une trentaine de compétences que les participants peuvent valoriser dans leur activité professionnelle. En attendant une validation des acquis ? C'est l'objectif pour Matthieu Sanchez, citoyen impliqué dans plusieurs conventions.

Vous avez été l’un des 150 citoyens tirés au sort pour la convention citoyenne pour le climat, avant de siéger au comité de gouvernance de la convention sur la fin de vie. Pourquoi bataillez-vous pour la reconnaissance professionnelle de l’expérience acquise par les participants ?

J’ai réalisé, lors de la convention climat, que les plus jeunes participants, âgés seulement de 16 ou 17 ans, ne pourraient pas voter si nos mesures étaient soumises à référendum, alors qu’ils avaient contribué aux propositions et qu’ils connaissaient mieux le sujet que la plupart des électeurs français. Il m’a semblé cohérent de reconnaître l’implication civique des participants, mais aussi les compétences acquises dans ces conventions : savoir agir en groupe, construire un projet commun à partir d’avis divergeants, coélaborer un texte, communiquer…  Cette reconnaissance sert surtout les jeunes, les travailleurs peu ou pas diplômés, et les personnes en reconversion professionnelle. 

Comment les participants peuvent-ils valoriser ces aptitudes ? 

À l’issue de la convention citoyenne pour le climat, les participants pouvaient obtenir des open badges attestant leur participation. Cette option, pensée à la dernière minute, a été utile malgré tout, les étudiants en recherche de stage ont mis en avant leur capacité à repérer une problématique et la traiter en collectif, trouver des solutions, être à l’écoute. En se positionnant mieux, ces jeunes ont obtenu un meilleur choix de stage. 

Pour la convention citoyenne sur la fin de vie, la reconnaissance professionnelle a été réfléchie dès le départ, avec l’objectif d’instituer un dispositif applicable aux prochaines conventions. Le ministère du Travail a dépêché une équipe professionnelle qui a observé les sessions et interrogé plusieurs dizaines de citoyens, pour finalement répertorier une trentaine d’activités et compétences effectivement mises en œuvre. Cette liste est accessible sur une plateforme numérique d’Etat sur laquelle le participant peut renseigner le questionnaire, afin d’obtenir sa propre carte de compétences[1].

Ce bilan personnel est un procédé d’autoévaluation. Est-ce suffisant ou faudrait-il mettre en place une validation des acquis d’expérience ? 

L’intérêt de ce premier niveau de reconnaissance est d’ajouter une liste de compétences pouvant entrer dans des fiches métier et des profils de poste. Ce n’est pas totalement abouti, on aurait besoin d’établir une correspondance plus nette entre les capacités tirées des convention citoyennes et des compétences professionnelles repérables par les administrations et les employeurs. 

Cette liste n’est pas non plus un socle commun. Certains participants vont cocher beaucoup de compétences, d’autres moins, selon leur investissement plus ou moins actif dans la convention. Il est nécessaire de conserver ce niveau de reconnaissance, tout en ajoutant un niveau de validation des acquis, pour les citoyens qui voudraient pousser plus loin. Pour cela, il faudra établir un référentiel, permettant à une autorité extérieure d’évaluer les compétences, sur la base d’épreuves ou d’entretiens individuels. 

Comment éviter qu’une telle validation favorise en réalité les catégories éduquées et diplômées ?  

C’est un des écueils, le projet devra encore gagner en maturité au fil des prochaines conventions. La discussion qui s’engage sur le statut du citoyen participant au Conseil économique social et environnemental est aussi l’occasion d’intégrer cet enjeu [lire l’article de Dorian Dreuil]. Cela me semble important pour arrimer l’expérience citoyenne au monde du travail.

En dehors de mon emploi, j’accompagne maintenant des organisations dans leurs démarches participatives, je constate combien la relation horizontale dans un collectif de travail déstabilise les gens, aussi bien dans l’administration que dans les entreprises. Raison de plus pour valoriser la capacité à impliquer tout le monde. Les citoyens apprennent à agir en collectif, c’est une compétence clé dans nos sociétés de plus en plus impatientes et polarisées. 

Les citoyens participants ont-ils des difficultés à articuler le temps civique et leur vie professionnelle ?  

Les enquêtes montrent que c’est une raison majeure du refus de participer aux conventions citoyennes. Ce n’est pas simple de négocier un aménagement du temps sur des week-end élargis comprenant les vendredis, pour les soignants, les agents de sécurité… Moi-même, agent administratif dans une mairie, je n’ai pas pu me libérer certains vendredis pour la convention sur la fin de vie. 

La reconnaissance des compétences peut servir de levier, pour cela il faudrait intégrer le temps d’implication civique dans la formation professionnelle. Le salarié pourrait produire un document officiel indiquant les acquis attendus et leur profit potentiel pour l’entreprise, ce serait un argument dans la négociation.  

Propos recueillis par Valérie Urman

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