Dorian Dreuil
Expert associé à la Fondation Jean-Jaurès
« Toujours les mêmes » dans les démarches participatives… Pour cause, le manque de temps et d'énergie disponibles dans notre société. Et si on instaurait un nouveau cadre légal, avec un véritable statut du participant, comme le demandent plusieurs associations ? C’est ce que propose Dorian Dreuil, membre de la Fondation Jean-Jaurès et responsable du plaidoyer des campagnes de Démocratie Ouverte.
Si la participation citoyenne a conquis les cœurs et les esprits, elle ne touche que peu de monde. La politiste Jessica Sainty rappelait récemment que les dispositifs institutionnalisés de participation mobilisent seulement 1 % de la population d’un territoire[1]. Sentiment partagé par les agents et élus qui évoquent le symptôme du TLM, les fameux toujours les mêmes qui investissent les espaces participatifs, d’un conseil de quartier à une consultation locale, en passant par les réunions publiques… Quand bien même des collectivités font l’effort de mettre en place des démarches d’aller vers, l’accès aux dispositifs participatifs est, en lui-même, un frein.
En effet, du fait de leurs contraintes professionnelles, économiques ou familiales, des citoyennes et citoyens se retrouvent, exclus d’office, des démarches participatives. Contrairement au vote, qui se règle en quelques minutes, la participation citoyenne demande du temps, de l’espace mental de réflexion, une implication parfois vue comme un don de soi dans un dispositif collectif… Or, l’exclusion de certaines catégories sociales, ajoutée à la faible participation, sont de nature à entacher la légitimité de ces processus, même quand ils sont de haute qualité délibérative.
Un nouveau cadre légal pour le citoyen participant
Créer de nouveaux espaces démocratiques ne vaut que si on permet à chacun de pouvoir y avoir accès. Une des solutions serait d’instaurer un véritable statut du citoyen participant. Ce nouveau cadre légal est proposé par la société civile depuis de nombreuses années et viendrait institutionnaliser la pratique de la participation, après en avoir institutionnalisés les outils.
Dès le lendemain de la convention citoyenne pour le climat, de nombreux acteurs et analystes de la participation citoyenne et de la gouvernance publique demandaient la création d’un droit à la participation des citoyens[2]. Ce plaidoyer des acteurs de la participation citoyenne est proche d’aboutir dans la loi. En effet, la création d’un statut du citoyen participant figure comme un engagement du plan d’action 2024-2026 de la France, dans le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO)[3]. Dans ce plan d’action, le gouvernement français s’engage à explorer différents axes dans l’élaboration de ce statut de citoyen participant.
Le premier est celui de l’indemnisation des participants et participantes. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) a, par exemple, prévu pour ses conventions citoyennes, d’indemniser les citoyennes et les citoyens, tirés au sort, sur la même base que ce qui est prévu pour les jurys d’assise, soit 86,04 euros par jour. Sans compter la prise en charge des frais de déplacement ou de logement, l’aide à la garde d’enfants ou la compensation de pertes de revenus. En Belgique, les commissions délibératives mixtes du Parlement francophone bruxellois, en plus d’une indemnisation journalière, prévoient que les réunions de commissions aient prioritairement lieu les week-ends, dans un objectif d’inclusion revendiquée par le Parlement francophone.
Deuxième axe, viendrait ensuite l’impossibilité pour l’employeur de refuser la participation d’un salarié ou d’un agent public, si un citoyen est tiré au sort pour un exercice de démocratie participative. Ce dispositif pourrait s’inspirer de l’ absence pour activités civiques et sociales, qui existe déjà en droit français, pour les témoins et jurés d’assises.
Autre axe et inspiration possible, le congé d’engagement, prévu pour encourager l’activité associative bénévole, qui permettrait aux citoyens de se porter volontaire pour une instance de démocratie participative.
Enfin, la valorisation des compétences acquises est un pan indispensable de ce statut du citoyen participant. Les témoignages des conventionnels des deux conventions nationales sur le climat et sur la fin de vie, comme d’exercices locaux, montrent que ces expériences changent la vie des participants et sont l’occasion pour eux, de s’enrichir, autant qu’ils enrichissent l’intérêt général (lire l’entretien avec Matthieu Sanchez).
Vers un copilotage de la démarche
Ce cadre légal de citoyen participant serait de nature à démocratiser la participation citoyenne, en la rendant plus inclusive et permettrait aussi de renforcer le poids et la légitimité des processus participatifs. Sa mise en place doit être co-pilotée par la société civile et le Conseil économique social et environnemental (CESE). Thierry Beaudet, président de la troisième chambre de la République était présent lors du lancement du nouveau plan d’action de la France dans le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), mercredi 27 mars 2024, aux côtés de la ministre chargée du renouveau démocratique, Prisca Thévenot.
Tous deux ont annoncé la création prochaine d’un forum de gouvernance du PGO, hébergé par le CESE, qui devrait permettre à l’administration et à la société civile de co-piloter la mise en œuvre des engagements de la France. Ce forum, qui devrait voir le jour d’ici juin 2024, est un pas de plus vers la reconnaissance du statut du citoyen.
Dès juin, la première réunion du forum ouvert du PGO devra être l’occasion de lancer les travaux en associant toutes les parties prenantes, associations, citoyens, collectivités territoriales, administrations de l’Etat, entreprises de la participation citoyenne….
Il faudra aussi imaginer aller au-delà du dispositif législatif et favoriser l’utilisation de ce statut par les citoyens : trop souvent, la bonne intention d’un dispositif ne s’accompagne pas assez d’une démarche d’ aller vers, notamment lorsqu’elle concerne les publics les plus éloignés.