Délibération finale du panel citoyen de Sion (Suisse)

En Suisse, des panels de citoyens producteurs d’information

Entretien avec

Nenad Stojanović

Professeur en sciences politique, Universités de Genève et de Zurich

Des panels de citoyens tirés au sort, appelés aussi citizens’ initiative reviews, producteurs d’information en amont d’une votation citoyenne ? La Suisse l’expérimente depuis 2019. Nenad Stojanović, chercheur suisse en a modélisé la démarche dans le cadre du projet Demoscan.

Pourquoi avez-vous conceptualisé des panels de citoyens tirés au sort qui produisent des livrets d’information en amont de votations populaires en Suisse ?

En 2016, j’ai découvert que dans l’État d’Oregon aux États-Unis, des panels de citoyens étaient organisés pour produire une notice explicative envoyée à l’ensemble des personnes ayant le droit de vote, avant un référendum ; je me suis dit que cette approche pouvait être intéressante à développer en Suisse en amont de votations populaires (référendums ou d’initiatives populaires [1]). L’idée était d’améliorer la participation aux votations populaires qui est en moyenne de 45 %, d’élargir l’assiette sociologique des votants et d’enrichir leur niveau d’information avant de voter. Il nous semblait important de travailler sur une information qui provienne de citoyennes et citoyens ordinaires. Actuellement, c’est gouvernement qui produit une brochure en amont des votations, les partis politiques diffusant aussi leur propagande.

Nous avons réalisé quatre panels de citoyens de ce type, au niveau communal, cantonal et fédéral [2]. Cette année, le Canton de Genève a décidé d’institutionnaliser cette démarche : une fois par an, sur une votation cantonale, un panel de citoyens tirés au sort va écrire la notice d’information à la place du gouvernement.

Comment les citoyens produisent-ils collectivement l’information ?

La tâche du panel est de rédiger un rapport citoyen ou notice courte de 2 à 3 pages : une page indiquant les enjeux de la votation de la manière la plus objective possible et une page avec trois arguments les plus pertinents pour voter « oui » et trois arguments pour voter « non ». Il n’y a pas de recommandation de vote, c’est un travail d’éclairage.

Le panel se déroule sur quatre jours. Les citoyens écoutent les parties prenantes qui sont en faveur du « oui » et celles en faveur du « non », comme des partis politiques, des associations…  Ils auditionnent trois experts au regard de ce qu’ils ont entendus le premier jour ; ils analysent les arguments et conduisent un fact checking sur les données. Par exemple, à Sion, il s’agissait de travailler sur la question du logement abordable et participatif. Le porteur de l’initiative, l’association des locataires suisses, indiquait que c’était « bien» pour la classe moyenne. Les citoyens ont posé la question « qu’est-ce que la classe moyenne ? » à un sociologue, qui a indiqué qu’il n’y avait pas de définition claire. Les membres du panel ont alors décidé de ne pas retenir l’argument dans leur note. Ils filtrent ainsi peu à peu les arguments pour arriver à trois arguments. Chaque argument est présenté, dans la note finale, de cette manière : une information, un fait vérifié, puis l’explication de la pertinence de cette information pour ou contre le projet.

Le dernier jour du panel est consacré à l’écriture de la note, avec si nécessaire des votes s’il n’y a pas de consensus. Parfois, les panelistes discutent longtemps sur la formulation. Ils font aussi un travail de vulgarisation et d’explication.

À qui cette notice est-elle envoyée et quel impact a-t-elle ?

A Sion et Bellinzona, la notice a été envoyée par la commune à l’ensemble des personnes ayant le droit de vote, en parallèle de la réception de la brochure officielle envoyée par la Chancellerie fédérale.  Dans le Canton de Genève en 2021, le gouvernement cantonal a décidé que la notice explicative serait insérée dans la brochure officielle, dans le matériel de vote.

Pour analyser l’impact, dans le cas de la démarche à Sion, nous avons mis en place une méthode de sondage expérimentale : nous avons réparti un échantillon de 2000 personnes en plusieurs groupes ; chaque groupe a reçu un matériau d’information différent. Le premier n’a pas reçu la notice explicative, le deuxième l’a reçu, le troisième a reçu la notice et le vote du Parlement fédéral sur l’initiative populaire, le quatrième groupe a reçu la notice et le vote du panel à qui on avait demandé de se positionner…

L’intention d’aller voter augmente, pour celles et ceux qui ont reçu la notice explicative, même si le taux de participation dépend de multiples facteurs. Quand on pose la question de la confiance en matière de sources d’informations, la notice du panel arrive en premier. Quand on pose la question de la confiance envers le travail du panel de citoyens, le niveau est semblable envers le travail du panel et celui du Parlement, beaucoup plus qu’envers les partis politiques et les médias. Nous avons aussi regardé à quel point la notice augmente la compréhension du sujet : le degré de connaissance des enjeux est beaucoup plus élevé. Cela permet aussi de diminuer la polarisation. Enfin, c’est aussi un moyen de lutte contre les fake news.

Est-ce une façon de relier un mini public au grand public ?

Les panels de citoyens ou conventions citoyennes qui rédigent un avis ou une recommandation sont sur un modèle vertical, dans le sens où leur avis est envoyé verticalement au Président ou gouvernement local. Le modèle ici est horizontal, car le livret d’information est envoyé aux autres citoyens. Avec ce modèle, on a moins le risque d’être dans un exercice alibi qui peut avoir un effet contre-productif.

Entretien réalisé par Sylvie Barnezet