Convention citoyenne pour l’Occitanie 2020 (Crédit photo : Boutonnet Laurent - Région Occitanie)

Il faut des passeurs d’information scientifique

Entretien avec

Clément Girard

directeur la participation citoyenne de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg.

Foulques Renard

délégué à la démocratie locale à Plaine Commune

Laurène Streiff

directrice de la mission participation et engagement citoyen de la Région Occitanie.

Trois praticiens de collectivités territoriales partagent leurs démarches et analyses sur le besoin de construire une information de qualité pour les citoyens.

Lors de démarches de concertation avec les citoyens, comment construisez-vous les apports d’information ?

Laurène Streif (Région Occitanie). Nous présentons plutôt de grandes données génériques, froides et factuelles. Dans nos démarche de concertation, c’est la direction pilote du sujet (transport, environnement, mer…) qui apporte l’essentiel de l’information, issues de données techniques internes ou de partenaires comme l’Ademe, l’Insee ou les Agences de l’eau…. De fait le débat contradictoire n’est pas posé, la controverses n’est pas facile à aller chercher.

Ce n’est pas toujours simple, non plus, de trouver le bon chercheur, le bon expert, ni qu’il soit disponible dans un délai bref. Les intervenants du monde de la recherche ne savent pas forcément interagir avec les citoyens, en précisant les notions abordées de façon vulgarisée.

Pour la convention citoyenne réunie en 2020, nous avons mené un travail avec le centre de documentation de la Région sur les ouvrages, les essais, des chercheurs à repérer, afin de proposer un carnet d’adresses d’intervenants potentiels. Dans le cadre du Laboratoire des transitions, nous travaillons avec les Maisons des sciences de l’homme de Montpellier et de Toulouse. Nous pouvons ainsi organiser des conversations entre le monde de la recherche, les agents, des élus et des citoyens. Nous pouvons construire un état de l’art d’une politique ; sur l’habitat participatif, les citoyens ont pu faire le point des connaissances et ainsi aboutir à des préconisations originales.

Clément Girard (Ville et Eurométropole de Strasbourg). Certaines directions indiquent des difficultés  à communiquer des informations qui n’ont pas été validées par les élus ou qui ne sont pas stabilisées. Nous travaillons à les sécuriser, c’est un enjeu de transparence nécessaire pour associer la population à la construction des politiques publiques.

Une fois ces informations collectées, reste  à les rendre digestes. Des informations froides, complexes ou controversées, ne peuvent pas être partagées sans mise en récit. Nous avons pu le constater lors du débat autour de la ZFE (zone à faible émission). Il a été particulièrement compliqué de trouver des chercheurs ou des scientifiques qui expliquent et contextualisent les enjeux de façon compréhensible, désirable. Un historien peut aider à contextualiser et vulgariser les sciences. Il faut des passeurs d’information scientifique.

Nous travaillons sur la lisibilité des documents, par exemple en intégrant le FALC (facile à lire et à comprendre) [1] pour nous assurer d’inclure tous les publics.

Lorsque c’est possible, nous ouvrons les données dans une plateforme d’open data. Ces données peuvent servir aux collectifs de citoyens qui sont à la recherche de comptages et données diverses, afin de renforcer l’argumentaire de leurs projets, initiatives ou interpellations.

Laurène Streiff. Lors du débat sur l’eau, nous avons pu faire intervenir Erik Orsenna.  Quand une personne comme lui fait passer des faits et des messages de façon forte… cela touche l’émotion et c’est aidant. Le récit est important, l’émotion dans l’information permet de transmettre des éléments complexes.

Foulques Renard (Plaine Commune). Construire du contradictoire sur un sujet demande du temps et des finances. Nous arrivons à le construire pour une convention citoyenne, mais pour des démarches plus petites, nous travaillons sur des fiches, avec des éléments techniques. Il n’y a alors pas autant de controverse dans l’information apportée aux citoyens qu’on pourrait l’espérer.

Il nous est d’ailleurs parfois difficile de problématiser le sujet, de choisir l’information pertinente et de raconter clairement les enjeux dans un champ scientifique qui n’est pas le nôtre.

De l’information, nous passons parfois à une démarche plus approfondie d’acculturation au thème. Par exemple, lorsque nous sommes sur plusieurs ateliers et lorsque le sujet est complexe, comme le volet protection du patrimoine du nouveau Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI).

L’information que vous présentez est-elle mise en cause par des citoyens, concurrencée par la désinformation et le complotisme ?

Foulque Renard. Selon les études du Cevipof, une grande partie de la population ne fait plus confiance dans les institutions et la science. Il s’agit alors de travailler avec ces personnes pour revenir sur un minimum d’éléments factuels et de fiabilité des sources. Lorsque nous avons la présence de complotistes dans des concertations, je suis plutôt content, cela veut dire c’est qu’on a bien mobilisé ! Des concertations sans aucune personne sceptique serait une concertation qui passe à côté d’une partie du public.

Clément Girard. La démocratie locale est l’un des derniers espaces ouverts à tous les publics. Il n’est donc pas si rare d’être confronté aux problématiques que traverse notre société, peut-être même plus qu’ailleurs. On y entend donc des fake news ou des rumeurs. Cela peut arriver en réunion publique, en atelier ou en commentaire à nos publications sur les réseaux sociaux. Il y a toujours des façons de répondre. En particulier sur les réseaux sociaux, nous travaillons à répondre de façon factuelle aux publications mensongères, quand nous en sommes capables. Notre direction considère qu’il s’agit là d’une responsabilité des agents et de l’institution de ne pas laisser passer des désinformations. Autrement, c’est la démocratie et les sciences que l’on met en danger.

Cela induit un changement de posture, car ce n’était pas la pratique de notre collectivité et il n’est pas rare de devoir le justifier auprès de collègues. Évidemment, il y a toujours un risque quand on engage un dialogue avec les citoyens, d’où le soin de nous en tenir aux seuls faits. Même si par la suite, nous aimerions que le récit et les émotions rendent ce type de publications plus impactantes,  quand on connaît leur importance sur les réseaux sociaux !

Comment restituez-vous les contributions des citoyens pour qu’elles deviennent de l’information publique ?

Foulques Renard. À la fin d’une démarche, qu’est-ce qu’on met en avant ? Comment explique-t-on la manière dont sont traitées les propositions des habitants ? Il y a un monde de possibilités entre faire une synthèse et donner la matière brute…

Nous décomposons les remarques et les préconisations selon les politiques publiques pour attribuer à chaque direction les aspects qui la concernent. Ensuite, les propositions sont décomposées en actions sous forme de tableau, avec en face, une réponse sur chaque proposition : est-ce qu’on la reprend, on ne la reprend pas, pourquoi, à quoi les élus s’engagent-ils ? Nous le publions sur le site internet et c’est assez facile pour un citoyen de retrouver ses propositions.

Au départ, on nous disait que c’était trop précis, mais peu à peu le tableau est devenu un outil de suivi et nous essayons d’utiliser ce format dans chacune de nos concertations.

Laurène Streiff.  Les données sont présentées sur le site participatif, poussées par des lettres d’information vers les participants. Les contributions numériques sont visibles. Certaines sont versées sur le portail open data.

L’entre-deux, c’est un travail de data-visualisation ou de facilitation graphique qui permet à chacun de s’y retrouver. Nous travaillons de plus en plus avec des artistes, notamment des dessinateurs qui apportent une véritable plus-value à nos exercices de restitution.

Pour traiter l’information, commencez-vous à utiliser l’intelligence artificielle (IA) ?

Foulques Renard. Aujourd’hui, l’utilisation la plus connue est celle de l’analyse de données massives. L’IA a été utilisée dans l’analyse du grand débat national pour produire une synthèse des millions de contributions ; ou récemment, par Make.org, pour la convention fin de vie du Conseil économique social et environnemental (Cese) [3]. On peut déjà se servir de ChatGPT pour synthétiser une démarche de grande ampleur (plusieurs milliers de contribution), la qualité de l’analyse ne va que s’améliorer. L’autre champs d’application est l’organisation des contenus  pour s’ajuster aux niveaux de connaissance des participants.

Cela pose cependant la question de la transparence vis-à-vis de la méthode utilisée. A quel endroit faudra-t-il afficher qu’on recoure à une IA ?  Quelle transparence sur les algorithmes pour le grand public ?

Propos recueillis par Sylvie Barnezet