Entretien avec
Sara Germain
doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
Au Canada, l’accès à l’information est un levier de contestation pour les citoyens face aux projets miniers. A partir du cas d’une mine de lithium, la chercheuse québécoise Sara Germain éclaire les limites du système de débat public.
Comment le débat public s’empare-t-il de la question minière dans un pays où les projets sont nombreux ?
L’opportunité des projets miniers n’est pas réellement mise en débat. Tout le système politique et économique canadien favorise l’exploitation du sous-sol. Le code minier, les lois d’aménagement du territoire, les avantages fiscaux, la bourse de Toronto, tout participe à faire du Canada un paradis pour les compagnies minières : les trois-quarts des sociétés minières dans le monde y ont installé leur siège social. L’activité se développe jusqu’en Arctique, dans les régions éloignées dont elle détermine le destin économique et l’emploi.
Dans ce contexte, pourquoi l’information représente-t-elle spécialement un enjeu ?
Prenons le cas, révélateur, du projet Authier[1] dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue [territoire de l’ouest du Québec, en limite de l’Ontario]. Les habitants veulent connaître l’impact de l’exploitation du lithium sur l’esker tout proche, cet environnement millénaire de moraines et de canaux formé par la fonte des glaciers, qui abrite des réserves d’eau pure et tout un écosystème aquatique. Toutefois, la participation citoyenne est une responsabilité réglementaire laissée aux entreprises, souvent réduite à un dispositif minimal de réunions publiques. De même pour l’information : la compagnie minière présente elle-même l’étude d’impact tant que son objectif de production ne dépasse pas 2000 tonnes de minerai extrait par jour. Au-delà, ce seuil déclenche la procédure d’évaluation du Bureau des audiences publiques pour l’environnement (Bape). C’est l’instance garante du droit à l’information.
Le Bape produit une expertise neutre, conduit des audiences contradictoires et rend un avis au gouvernement. Ses recommandations ne sont pas contraignantes, mais elles pèsent lourd dans la décision. Sauf dans le cas des projets miniers, acceptés par le gouvernement malgré les avis défavorables. Parmi les précédents notables, la mine d’or autorisée dans l’Arctique, en 2008, contre l’avis du Bape, est devenue l’une des plus grandes mines d’or à ciel ouvert dans le monde.
Le Bape est perçu comme un modèle démocratique, mais la confiance des citoyens dans l’instruction des autorisations d’extraction est entamée faute de suivi des recommandations. Dès lors, les mobilisations citoyennes cherchent à déclencher l’intervention du Bape, d’une part pour accéder à une information loyale, d’autre part, pour retarder le projet dans l’espoir qu’il ne soit plus viable et soit finalement abandonné. Dans le secteur minier, le temps détermine la rentabilité, en raison de la forte variabilité du cours des minerais.
L’information est donc l’instrument du rapport de force ?
Plusieurs années de controverse ont dégradé le climat politique local au point que le gouvernement a finalement déclenché le Bape, à la demande même de la société minière. Pour avancer sur le dossier, on active l’instrument même que l’on accusait de faire perdre du temps. C’est l’ironie de l’histoire. Les habitants sont très satisfaits de ce revirement inhabituel, le projet Authier est devenu emblématique.
Malgré tout, ce n’est qu’un projet parmi beaucoup d’autres : déjà 40 % de l’immense territoire de l’Abitibi-Témiscamingue fait l’objet de droits d’exploration. C’est la région canadienne qui concentre le plus de titres miniers[2].
Le faible poids du Bape sur la politique d’extraction remet-il en cause les procédures de débat public ?
Ce n’est pas le Bape lui-même, mais l’ensemble du système d’examen des projets miniers qui est à revoir. Au plan des procédures, la première exigence serait de soumettre tous les projets miniers au Bape, quel que soit le tonnage d’extraction. Tout portant à croire que le nombre de projets va continuer d’augmenter dans les prochaines années, il faudrait aussi créer un bureau fédéral d’ombusman[3], indépendant et correctement financé, pour défendre l’ensemble des droits humains dans les affaires liés au secteur minier. [Lire aussi notre article sur le modèle français de démocratie environnementale, à l’heure du premier débat public sur l’ouverture d’une mine de lithium].
Le traitement de la question minière favorise-t-il la radicalisation des mouvements citoyens ?
J’observe plutôt une polarisation. Dans ces territoires immenses émerge une logique de coalition des collectifs protestataires, pour soutenir les mobilisations locales afin qu’elles s’installent dans la durée. A l’inverse, les entreprises minières valident des modalités de participation qui divisent ou excluent, par exemple en limitant l’accès des réunions publiques aux habitants d’un périmètre restreint.
Propos recueillis par Valérie Urman