par
Valérie Urman
Journaliste, consultante Ingénierie et évaluation de la participation citoyenne
IA logique, machine learning, LLM... L’intelligence artificielle conjugue de multiples approches. Petit décryptage des technologies et leurs applications.
L’intelligence artificielle s’applique à imiter les capacités du cerveau humain, sa puissance de pensée, ses modes de raisonnement. Le terme recouvre en fait des définitions diverses en relation avec les différentes approches développées depuis les années 1950. Actuellement, l’IA générative occupe tout l’espace médiatique, à la fois succès populaire phénoménal et source d’inquiétude. Elle monopolise les développements actuels du numérique dans le champ de la participation citoyenne, avec ses Grands modèles de langage (Large Language Model, LLM). Pourtant d’autres technologies d’IA vont continuer d’écrire l’histoire.
Nous avons retenu, pour simplifier, deux grandes catégories d’intelligence artificielle : l’IA symbolique et l’IA statistique. L’IA symbolique, historiquement la première – celle du superordinateur Deep Blue développé par IBM, battant le champion du monde Gary Kasparov aux échecs en 1997 – est la pionnière du raisonnement complexe, de la déduction logique, de la classification. L’IA statistique – qui identifie des régularités dans les données – fonde toutes les grandes avancées récentes. La machine apprend par elle-même : elle peut résoudre des tâches automatiquement à partir d’exemples, comme de générer du texte à partir des textes qu’elle connaît. Dans cette catégorie-là, les modèles d’IA générative ont imposé en peu de temps les « agents » conversationnels tels que chatGPT.
Nous proposons ici de clarifier quelques termes de base, pour mieux distinguer les différentes technologies.
L’IA symbolique
Depuis les années 1950-1960
Intelligence artificielle logique
- La technologie est basée sur la programmation de règles logiques, la machine suit un raisonnement explicite, traçable, pour résoudre un problème.
- Ses applications tirent parti de la vitesse de calcul, avec des systèmes experts – par exemple pour le diagnostic médical ou pour déterminer le rôle des plantes dans un milieu.
Par exemple : le système MYCIN (1972) a été précurseur avec 600 règles modélisant l’expertise d’un médecin pour soigner des maladies infectieuses. L’ordinateur Deep Blue a battu le champion du monde d’échecs Gary Kasparov (1997).
Depuis les années 1970-1980
Algorithmes évolutionnistes
- C’est une technologie « bioinspirée » qui copie la théorie darwinienne de l’évolution : les algorithmes « génétiques » suivent des étapes de sélection, d’adaptation, de recombinaison, pour s’approcher, par rebonds successifs, d’une solution optimum à un problème complexe.
- Ses applications visent à trouver la meilleure solution de conception, en tenant compte de conditions et de contraintes fortes. Par exemple : créer des horaires de travail pour les employés d’une entreprise en conjuguant les règles internes, le droit, les besoins des services. La Nasa l’a utilisé pour gérer les déplacements du robot Pathfinder sur Mars. Elle sert aussi à établir le score de jeux vidéo comme Pacman ou Mario.
L’ IA statistique
Depuis les années 1980-1990
Apprentissage Automatique (Machine Learning)
- La technologie, basée sur l’apprentissage statistique, reste la championne de l’interprétation des données structurées classiques (comme celles que l’on entre dans un tableau Excel). Elle catégorise des objets, les regroupent par similarité.
- Les applications portent sur le diagnostic en santé, la classification de données, l’analyse de comportements, la prédiction de dysfonctionnements…
Par exemple : séparer les mails des spams ; recommandation de produits (Amazon, Netflix); prévision boursière; détecter des irrégularités ou des transactions frauduleuses.
Les années 2010 et 2020
Apprentissage profond (Deep Learning)
- L’apprentissage profond a révolutionné la capacité à apprendre des données « perceptuelles », textes, images, signaux… Ces algorithmes plus complexes nécessitent de grands volumes de données d’entrainement. La technologie s’appuie sur des « réseaux neuronaux » : de multiples strates de paramètres, semblables à des couches superposées de neurones, connectées entre elles.
- Les applications concernent tous les secteurs, en apportant la reconnaissance faciale ; la détection d’objet (panneaux de signalisation, piétons) pour la voiture autonome ; l’analyse d’images médicales; la traduction automatique…
Intelligence artificielle générative
- C’est une sous-thématique de l’apprentissage statistique et de l’apprentissage profond. Ces modèles s’appuient sur de grandes ressources de calcul pour générer du contenu original à partir des données d’entrainement de la machine. Après les premiers robots conversationnels (Siri, 2011 ; Alexa, 2014) issus du traitement automatique du langage naturel (Natural Language Processing, NLP), l’IA générative a produit les Grands Modèles de Langage (Large Language Models, LLM) aux performances plus fluides tels Microsoft Copilot ; GPT 4 en 2024 ; Apple annonce le nouveau Siri pour 2026.
- Les applications portent sur la création de textes, d’images, de musique, de vidéos. Tous les secteurs sont impactés. Ses capacités d’analyse de la parole et de l’expression écrite, de synthèse, en font la technologie ultradominante dans le champ de la participation citoyenne. On imagine qu’elle aidera à porter la délibération à grande échelle en s’intégrant aux processus de modération, de traduction, de production et vérification de l’information, de restitution.
Et demain ?
IA de confiance
Pour le chercheur Aurélien Bellet (Inria), beaucoup de problèmes restent ouverts, comme « rendre l’IA utile pour faire des découvertes scientifiques fiables » ou « disposer d’une IA de confiance, performante et sûre, assurant la confidentialité des données, l’équité des décisions, la robustesse face à des acteurs malveillants ».
Hybridation
- Si beaucoup de chercheurs en doutent, certains parient sur des combinaisons d’outils d’IA. L’intelligence artificielle symbolique s’articulerait au machine learning : la première en s’attelant à des tâches complexes de planification ou d’aide à la décision ; la seconde en améliorant la reconnaissance des images et de la parole, la traduction, la génération de contenu.
IA forte
- Le terme désigne une technologie capable de compréhension et d’apprentissage semblables à l’intelligence humaine, pouvant prendre en charge des situations complexes et non pas seulement accomplir une tâche unique (IA faible). Elle produirait des machines autonomes dotées de conscience. Hors de portée aujourd’hui et sans doute encore pour longtemps…