Chernobyl, la catastrophe et la vérité

par

Antoine Ancelet-Schwartz

Doctorant en science politique

J’ai longtemps résisté à l’appel de cette série.

Chernobyl (je l’écris, dans cette chronique, selon la transcription anglo-saxonne, comme le fait la série) m’évoquait le souvenir de mes parents, me racontant le supposé mensonge d’État du nuage radioactif déclaré arrêté à la frontière (en réalité, une interprétation très optimiste de la part du service météo de la première chaîne de télévision et une infographie avec un panneau « stop » plus ridicule que mensonger). Chernobyl, pour moi, c’était l’histoire d’une catastrophe finissant de révéler les graves dysfonctionnements d’un régime soviétique qui allait s’effondrer. C’était aussi le symbole d’un pacte faustien d’institutions non démocratiques avec le progrès scientifique et technique, à cause d’une violation des lois de la physique par des structures de pouvoir fonctionnant selon des relations hiérarchiques centrées sur la soumission et sur la conquête violente de places et de postes où exercer sa tyrannie (et cela, la série le raconte plutôt bien).

Beaucoup de narratifs de cette catastrophe tiennent de la mise à distance. Le contexte était particulier et, surtout, on se convainc qu’il était différent du nôtre. C’est, en partie seulement, le cas dans la série Chernobyl. Le décorum soviétique est omniprésent. Mais les protagonistes parlent anglais. L’expertise scientifique est confrontée à un déni du réel dont la radicalité est renforcée par le sauve qui peut d’un pouvoir moribond. Mais derrière la mise en scène du pouvoir dans une URSS crépusculaire, c’est l’antagonisme entre l’ampleur de la catastrophe et la difficulté d’un pouvoir à prendre des mesures qui visent à la combattre, qui interroge. Et qui amène à se demander si, par exemple, la crise climatique et la 6e extinction de masse bénéficient de réponses politiques plus à la hauteur, aujourd’hui, que la réponse apportée alors à la catastrophe de Chernobyl.

La mise à distance est brouillée quand on regarde la série Chernobyl. Ces caméras à l’épaule, ces gros plans sur quelques individus supposés avoir changé la donne à eux tout seuls, ce souci du décor et de la vraisemblance, tout en faisant des choix narratifs pour rentrer dans les codes de production, tout cela amène de la confusion. Pourtant, il ne s’agit ni d’un docu-fiction, ni d’un “documenteur”. Tout cela procède d’un continuum très contemporain de faux semblants, articulé à la dépendance croissante de médias et de réseaux sociaux à un pouvoir économique de plus en plus marqué par un agenda politique, et à un relativisme politicien qui remet en cause l’idée même du réel, au profit de vérités toutes subjectives (non, je ne vais pas parvenir à écrire ce billet sans y mettre le nom de Trump !).

La série Chernobyl me laisse donc avec deux questions qui ont toutes les deux à voir avec la démocratie.

D’abord, comment raconter une histoire vraie en en faisant une fiction, en la romançant, tout en ayant des intentions didactiques ? En quoi cela sert-il une mise à distance et surtout une mise en perspective d’un événement caractérisé par un moment politique fort peu délibératif ?

Ensuite, comment le narratif de la catastrophe, avec son sinistre cortège de représentations, nous permet-il d’adresser la question du pouvoir ? Autrement dit, quelles garanties nous donnons-nous pour que ce pouvoir nous protège réellement des catastrophes ?

Cette seconde question doit particulièrement travailler les praticiens de la démocratie que nous sommes, tant nos idéaux et nos principes sont facilement considérés comme inopérants en temps de crises majeures, de guerres ou de catastrophes, tant la remise de soi à un Léviathan protecteur nous est facilement présentée comme la solution naturelle et efficace à ces maux majeurs.

Antoine Ancelet-Schwartz

Cadre territorial pendant vingt ans, Antoine Ancelet-Schwartz est doctorant en science politique à Grenoble et à Lille. Il cherche à mieux comprendre la non-participation à la démocratie locale en France dans tous ses aspects (représentatifs, participatifs, délibératifs, etc.). Préoccupé par les atteintes aux libertés académiques et persuadé que, pour les promouvoir, il est nécessaire de multiplier les actions d'éducation populaire, il participe à des collectifs sur Twitch visant à mettre en dialogue sciences sociales et culture pop.

Vous avez aimé cet article ?
Afin de faire vivre démocratieS,
merci de faire un don en cliquant ici