par
Antoine Ancelet-Schwartz
Doctorant en science politique
Lors d’un séjour chez ses parents, au rayon légumes du magasin du coin, l’œil de Johan Faerber est attiré par un dessin : comme une mascotte de boîte de céréales américaines, grand sourire et… poing levé, cette légende : « Je suis une betterave engagée » !
C’en est trop pour ce prof de lettres, critique, éditeur et écrivain, spécialiste du Nouveau Roman et de la littérature contemporaine : des manifestant-es pacifiques perdent des mains ou des yeux dans des manifestations et se font traiter d’éco-terroristes ; quand Pierre Rosanvallon se fait qualifier de « militant » par le Président de la République, on comprend que ce n’est pas un compliment de sa part. Mais la betterave sous plastique, elle, est engagée.
De là, Johan Faerber nous livre une question : pourquoi le verbe militer est-il sali de nos jours ?
« Militer », nous raconte-t-il, apparaît dans la langue française vers 1480, venu du lexique militaire de l’enrôlement et de l’embrigadement. En 1794, la Révolution française en démilitarise l’usage. Il s’agit alors « du combat visant à faire prévaloir une idée, sinon une vision du monde ». Le mot « militant », lui, surgit dans la langue française dans les années 1830 en référence à l’idéal de la Révolution et correspond à des qualités : héroïsme, idéalisation, désintéressement.
Aujourd’hui, la figure de l’engagé supplante celle du militant. L’engagé, c’est le militant moins la politique et moins le conflit. L’engagé ne proteste ni ne conteste, il pacifie. Il est volontaire. Il est caritatif. Il est humanitaire. En outre, ce qui séduit l’engagé, c’est l’efficacité immédiate, a contrario des luttes politiques, pas toujours victorieuses. Aujourd’hui, tout le monde est engagé, même la betterave ! « L’engagement sature l’espace social quotidien ainsi que l’espace privé le plus prosaïque (…) jusqu’au caddie de supermarché », écrit l’auteur.
Dès lors, pour Johan Faerber, « militer aujourd’hui, c’est refuser l’engagement ». Mais ce faisant, on est assimilé à la radicalisation, à la violence, voire à la terreur (à l’instar des « éco-terroristes »).
Pour s’en sortir, que faire ? Johan Faerber indique que les mots gardent sens et consistance, et que nous devons travailler à un langage mieux partagé : changer de mots s’il le faut et se battre pour le sens de ceux qu’on veut garder, car ce sont autant de « déjà-là » de la démocratie que l’on veut faire advenir.